mercredi 7 septembre 2011

Vers une Théologie de l'Enfance?

Depuis l’époque de Maria Montessori, la pédagogie religieuse a connu de grands développements. De nombreux travaux scientifiques sont venus souligner et expliciter la dynamique spirituelle des enfants. Aujourd’hui, la recherche semble rejoindre les grandes intuitions de Maria Montessori. On voit se dessiner progressivement une théologie de l’enfance qui trouve ses racines dans la Révélation. Certains passages de l’Evangile reçoivent un éclairage nouveau dont la spiritualité des adultes pourrait même tirer partie. Qu’en est-il exactement ?

Le XXème siècle a vu naître des approches pédagogiques fondées sur des données anthropologiques et expérimentales. L’observation de l’enfant et de son développement devient essentielle dans la réflexion pédagogique. L’œuvre de Maria Montessori en est l’un des plus grands témoignages. Sofia Cavalletti rapporte dans ses ouvrages la profonde expérience spirituelle et la riche conscience théologique des enfants avec qui elle a travaillé. D'autres études scientifiques se sont intéressées spécifiquement à la question de la spiritualité des enfants. On trouve ces études notamment dans la littérature anglo-saxonne. Parmi elles, un ouvrage écrit par Rebecca Nye a fait date. Il s’agit de « Children’s spirituality ». Utilisant les critères de la méthodologie scientifique pour interviewer des enfants, R. Nye est arrivée à l’idée que la spiritualité est une des caractéristiques de cette période de la vie.

Que faut-il entendre par spiritualité des enfants ?
Dans son ouvrage, R. Nye livre une première définition de synthèse suite à ses nombreuses études. « La spiritualité des enfants est une capacité initialement naturelle pour une conscience de ce qui est sacré dans les expériences de vie. Cette conscience peut être ressentie ou pas, mais dans les deux cas, elle influe sur les actions, les sentiments et les pensées. Dans l’enfance, la spiritualité porte particulièrement sur le fait d’être en relation, de répondre à un appel, de se relier à plus que soi seul, c’est à dire aux autres, à Dieu, et à la création. Cette rencontre avec la transcendance peut advenir dans des expériences ou des moments spécifiques aussi bien qu’à travers une activité imaginative ou réflexive » (p.6)
Cette définition fait apparaître plusieurs éléments qu’il est possible de mettre en relation avec la Tradition chrétienne. Tout d’abord, une connaissance naturelle de Dieu notamment par ses œuvres est possible. Une expérience intense de la vie permet à l’enfant de se mettre en lien avec ce qui la transcende. Ce contact avec ce que la vie révèle en ses profondeurs se traduit par une disposition spirituelle qui anime les actions quotidiennes de l’enfant. Autrement dit, pour l’enfant la spiritualité est une sorte de « contemplaction » par laquelle son admiration donne souffle à son agir. L’enfant semble ainsi échapper à la dissonance que connaissent les adultes pour qui la spiritualité est parfois une parenthèse dans la vie quotidienne. Enfin, la spiritualité de l’enfant met en lumière la dynamique de l’appel et de la réponse qui tisse la relation transcendantale. De ce point de vue la révélation du Buisson Ardent et la réponse de Moïse (Me voici !) sont archétypales de la démarche spirituelle de l’enfant. On comprend alors toute la valeur de la parabole du Bon Berger telle que la situe Sofia Cavalletti dans son œuvre catéchétique. Le Bon Berger appelle chacune des brebis par leur nom. L’enfant se sent ainsi comme une brebis connue et reconnue. Il peut alors répondre librement à cette invitation merveilleuse. Nous voilà bien au cœur de la Révélation chrétienne.

Que faut-il comprendre de l’enfant pour accompagner son développement spirituel ?
Il n’est pas toujours évident pour l’adulte d’accompagner la croissance spirituelle de l’enfant tant son modèle psychique est différent du nôtre. Pour y parvenir il faut le comprendre, c'est-à-dire apprendre à voir avec son regard les réalités qu’il perçoit. R. Nye donne quelques clés dans son ouvrage pour aider l’adulte à s’approprier ce regard de l’enfant :
«  Les enfants ont une façon plus holistique de voir les choses. Ils ne les analysent pas autant, si bien que leur perception a un caractère plus mystique.
Les enfants sont particulièrement ouverts et curieux. Aussi ont-ils une capacité naturelle d’émerveillement.
La vie émotionnelle des enfants est au moins aussi forte que leur vie intellectuelle. Aussi savent-ils ce que c’est de s’abandonner à des forces qui transcendent leur contrôle.
Les enfants manquent de connaissances sur beaucoup de choses. Pour eux, le mystère est une réalité profonde, généralement non menaçante, amicale et ils y répondent par un respect et une recherche de sens dans tous leurs jeux quotidiens.
Les enfants acceptent que leurs mots ne suffisent pas à décrire pensées et sentiments. Aussi savent-ils que la valeur et l’importance réelle dépassent ce qui peut être dit. Ils se sentent à l’aise dans l’ineffable, l’indicible » (p.8).
On comprendra ici que ce qui semble faire la faiblesse des enfants (expression rationnelle limitée) fait en réalité leur force spirituelle. Leur capacité spirituelle est certainement plus adaptée que celle des adultes à la révélation d’une réalité transcendante qu’aucun mot humain ne pourra jamais circonscrire. Comme-ci l’indicible était naturellement la demeure des enfants. Et la Révélation la réponse à une attente naturelle chez les plus petits d’entre nous.
Pour accompagner les enfants, il importe donc de créer les conditions d’une expérience religieuse et non pas seulement de délivrer un simple contenu conceptuel dont l’enfant ne pourra pas faire sa nourriture. C’est toute la force de la parabole du Bon Berger, et de la présentation que l’on peut en faire, qui propose à chacun de répondre à l’appel qui lui est fait afin de tisser une relation unique avec Lui.
Maria Montessori a insisté à plusieurs reprises sur la complémentarité réelle entre adulte et enfant pour la croissance du Royaume et de l’Eglise. Les données expérimentales et scientifiques apportent certainement un éclairage important aux paroles de Jésus sur lesquelles nous reviendrons par la suite. Elles tendent à montrer combien les expériences religieuses de l’enfance sont essentielles dans le développement de la spiritualité adulte. Si bien que les paroles rapportées dans l’Evangile pourraient réellement fonder le développement d’une Théologie de l’enfance pour éclairer la filiation divine que Dieu propose à tout homme.

Vers une Théologie de l’Enfance ?
La question peut surprendre. Les paroles de Jésus de Nazareth sur l’enfance suscitent souvent l’incompréhension ou se limitent encore à quelques considérations sur l’humilité qui la caractériserait. Toute la difficulté vient du contraste entre la puissance des propos de Jésus sur l’enfant et l’absence de définition qu’il en donne. Pour réellement approcher le sens de ces paroles il nous invite implicitement à regarder les enfants pour mieux saisir la nature du Royaume auquel il nous convie. Jésus nous présente en effet l’enfant comme une parabole de la vie en son Royaume : « si vous n’êtes pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux ». Phrase étonnante qui semble nous ramener à l’essentiel. Jésus invite ses disciples à saisir quelque chose du Royaume à travers ses paraboles aussi simples que saisissantes. Toutes nous renvoient à une réalité de la terre dont la dynamique peut nous aider à comprendre comment se forme le Royaume. Mais, il ne suffit pas de saisir ces rapprochements, il  faut s’en saisir à la manière des petits enfants jusqu’à « devenir» comme eux….
Le contact avec les enfants semblent donc être d’une portée capitale pour mieux situer la filiation divine que le Christ nous propose. L’enfant n’est pas qu’un adulte en devenir. Il possède une « physionomie » psychique spécifique dont la manifestation peut certainement nous aider à mieux comprendre les paroles de Jésus.
L’information que nous a donnée Jésus s’appuie sur cette réalité que l’enfant a un « style » de vie différent de celui des adultes. D’un point de vu spirituel, cela renverse les perspectives. L’adulte peut apprendre de l’enfant. Si l’on veut rester au plus proche du texte évangélique, il faut même voir la présence de l’enfant comme un véritable enseignement spirituel. R. Nye résume cet enseignement de la façon suivante : « la spiritualité dans l’enfance, c’est la manière d’être des enfants avec Dieu et de Dieu avec eux »
Maria Montessori est l’une des premières pédagogues à avoir mis en lumière par ses expériences la spécificité spirituelle de l’enfant. Sans avoir développé de Théologie en tant que telle, ses expériences ont contribué à rendre visible la dynamique de croissance spirituelle des enfants. Pour elle la finalité ultime de son approche pédagogique, c’est le déploiement spirituel inscrit en chaque être humain. Ses travaux de pédagogie religieuse montrent que les enfants sont capables de participer à la grande prière de l’Eglise comme à la lectio divina des textes sacrés. Les développements ultérieurs qui connaissent à l’heure actuelle de magnifiques approfondissements sont une occasion pour les familles de former une véritable Ecclesia Domestica dans laquelle adultes et enfants se nourriront ensemble d’une expérience biblique et liturgique partagée. Si l’on sait y prêter attention, les enfants sont capables d’expressions religieuses dignes des écrits sur la Sagesse ou de la prière psalmique. 

Quelle est l’information que contiennent les paroles de Jésus sur l’Enfance ?
Les paroles de Jésus sur les enfants sont concises et fortes. Elles ne font pas l’objet d’un quelconque développement. Mais elles sont une invitation incontestable à voir l’enfant comme porteur d’une sagesse spirituelle. Y aurait-il chez les enfants un « mode d’être » dont nous aurions perdu le souvenir en devenant adulte ? Qu’avons-nous à ce point oublié de l’enfance qui nous rende impossible l’accès au Royaume de Dieu (« Si vous ne devenez pas comme des petits enfants »…) ?
Reprenons une à une ces paroles fondamentales que nous rapporte l’Evangile comme le fait très justement Jérôme W. Berryman dans le premier tome d’introduction à sa pédagogie religieuse. Elles sont au nombre de huit. Rapprochées les unes des autres, elles forment un véritable enseignement spirituel. 

1ère message : « Celui qui se fera petit »
« Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux ? » Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, c’est celui-là qui est le plus grand dans le Royaume des cieux. Et celui qui accueillera un enfant comme celui-ci en mon nom, c’est moi qu’il accueille. Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits, car, je vous le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est aux cieux » (Mathieu, 18, 1-5).
« Ils arrivèrent à Capharnaüm. Lorsqu’il fut dans la maison, Jésus leur demanda : De quoi discutiez-vous en chemin ? Mais ils gardèrent le silence, car en chemin ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. Alors il s’assit, appela les douze, et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, il sera le dernier de tous les serviteurs de tous. Et il prit un petit enfant, le plaça au milieu d’eux, et l’ayant pris dans ses bras, il leur dit : « Quiconque reçoit en mon nom un de ces petits enfants me reçoit moi-même, et quiconque me reçoit, reçoit non pas moi, mais celui qui m’a envoyé » (Marc, 9, 33-37)
« Or, une pensée leur vint à l’esprit, savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Jésus voyant la pensée de leur cœur prit un petit enfant, le plaça près de lui, et leur dit : « Quiconque reçoit en mon nom ce petit enfant me reçoit moi-même ; et quiconque me reçoit, reçoit celui qui m’a envoyé. Car celui qui est le plus petit parmi vous tous, c’est celui-là qui est grand » (Luc, 9, 46-48)
Ces textes font apparaître plusieurs éléments qui peuvent nous permettre de préciser la valeur spirituelle des dispositions psychiques de l’enfance. Jésus intervient ici pour répondre à une interrogation  des disciples. Savoir « qui est le plus grand » ? Autrement dit qui a le plus de pouvoir. Comme à son habitude, Jésus donne une réponse qui ouvre une réflexion. Ici il place un petit enfant au milieu des disciples. Car l’enfant encore jeune cherche à être en relation plutôt qu’à avoir le pouvoir. L’enfant ne recherche pas la place d’honneur mais simplement sa place dans la communauté humaine. L’adulte en revanche cherche souvent à faire de la place autour de lui… Jésus, après son baptême et avant de commencer son ministère, affrontera dans le désert cette tentation du pouvoir (possession des royaumes du monde). Pour vaincre cette tentation, Jésus nous invite à regarder la relation que les enfants ont avec leur entourage et leur environnement. Un deuxième point important concerne l’identification que Jésus fait entre l’accueil d’un enfant et l’accueil que l’on pourrait lui faire. Accueillir un enfant, c’est accueillir Jésus lui-même. A nouveau le propos est autant puissant que simple. Il laisse entendre que la vie au contact des plus petits est une occasion unique et privilégiée de tisser une relation avec lui. Le contact avec eux est une aide pour se préserver d’un certain orgueil de la vie. Enfin, Jésus semble leur reconnaître une faculté spirituelle spécifique lorsqu’il affirme que leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de son Père. Cette parole nous ramène à cette disposition spirituelle toute particulière qui semble caractériser la période de l’enfance. Les recherches mentionnées plus haut font état de réactions des enfants tout à fait étonnantes en matière religieuse.

2ème message : « Laissez-venir à moi les petits enfants… »
« Alors des gens lui amenèrent des petits enfants afin qu’il pose les mains sur eux et prie pour eux. Mais les disciples leur firent des reprochent. Jésus dit : « Laissez les petits enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Mathieu 19, 13-15).
« On présentait à Jésus des enfants pour les lui faire toucher ; mais les disciples les écartèrent vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le Royaume de Dieu à la manière d’un petit enfant n’y entrera pas. Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains » (Marc, 10, 13-16).
« On lui amena aussi les petits enfants afin qu’il les touchât. Mais les disciples, voyant cela, reprenaient ceux qui les amenaient. Et Jésus les appela et dit : « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez pas car le Royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent. Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point » (Marc, 18, 15-17).
Les disciples s’interposent entre Jésus et les enfants qu’on lui amène. La réaction est vive. L’enfant n’est pas moins intéressant que l’adulte aux yeux de Jésus. Il est même porteur d’une information importante sur le chemin qui mène au Royaume. Le message de Jésus n’a rien de romantique. Il ne souligne pas ce qu’il y a de sympathique et de naïf en eux. Il affirme simplement, encore une fois, que pour accueillir le Royaume il est nécessaire de ressembler aux petits enfants. L’homme créé à l’image de Dieu est invité à leur ressembler. C’est là le tout le programme de la divinisation manifestée de façon particulière lors de la Transfiguration. Cette métanoïa divine, d’après les mots mêmes de Jésus, passe par la ressemblance avec les petits enfants. Pour approcher l’Indicible Présence leurs limites linguistiques et rationnelles sont finalement un avantage. Là où nos raisonnements élaborés nous égarent souvent, leur intuition sans détour atteint la Source de toute chose. Le langage humain est parfois un instrument au service du pouvoir et du paraître. C’est dans le silence du désert que Jésus met un terme aux manipulations diaboliques. La rencontre avec Dieu se situe au-delà de toute formule conceptuelle. La seule connaissance verbale n’est pas suffisante pour instaurer une vraie relation. L’amour est bien au-delà des mots. C’est ce que savent les enfants…d’un savoir certain ! Le lâcher-prise verbal conditionne la rencontre… 

3ème  message : « Ne les scandalisez pas… »
« Mais si quelqu’un scandalise un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui attachât une meule au cou et qu’on le jetât au fonds de la mer » (Mathieu 18, 6).
« Mais si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient, il vaudrait mieux pour lui qu’on lui mît au cou une grosse meule de moulin, et qu’on le jetât dans la mer » (Marc, 9, 42).
« Puis il dit à ses disciples : Il est impossible que les scandales n’arrivent pas, mais malheur à celui par qui ils arrivent ! Mieux vaudrait pour lui se voir passer autour du cou une pierre à moudre et être jeté à la mer que de scandaliser un seul de ces petits » (Luc, 17, 1-2).
L’enfant est aux yeux de Jésus porteur d’un message fondamental pour la vie spirituelle de tout être humain. Si les paroles de Jésus sont fortes pour manifester clairement le modèle de vie que représentent les enfants, elles ne le sont pas moins lorsqu’il s’agit d’avertir ceux qui pourraient être tentés de « mettre des obstacles » (traduction grec de scandale) sur leur chemin. Maria Montessori s’est longuement exprimée sur les nombreux obstacles culturels et sociaux qui pendant des siècles ont empêché de porter un regard juste sur l’enfant et de reconnaître l’ensemble de ses besoins psychiques. En posant ces obstacles, il devient impossible de connaître l’enfant. Et si cette rencontre avec l’enfant ne peut se faire, le message dont l’enfant est porteur devient inaccessible…

4ème message : « devenir comme des petits enfants »
« Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Matthieu, 18, 3).
« Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point (Marc, 10, 15)
« Je vous le dis en vérité, quiconque ne recevra pas le Royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point  (Luc, 18, 17).
Le message peut surprendre. La vie spirituelle est à ceux qui deviennent comme des petits enfants. Le Royaume des cieux ne peut se réaliser sans ce mode de vie propre aux enfants. Le psychisme des enfants est tourné vers la vie. Ils n’ont de cesse que de vouloir découvrir et s’émerveiller. Ils ont des yeux qui voient et des oreilles qui entendent. Tous leurs sens sont en action pour capter les profondeurs de la vie. Leur passion pour le jeu de « cache-cache »  témoigne inlassablement de leur désir de rencontrer une présence « cachée ». Joie de chercher, joie de trouver, joie d’être cherché et joie d’être retrouvé…L’invitation de Jésus est paradoxale. Elle heurte notre raison d’adulte. Et ce d’autant plus que pour comprendre ce que les enfants peuvent nous enseigner, il nous faut nous-mêmes adopter leur « dispositif » psychique.

5ème message : « Nous avons joué et vous n’avez pas dansé »
« A qui donc comparerai-je les hommes de cette génération, et à qui ressemblent-ils ? Ils ressemblent aux enfants assis dans la place publique, et qui, se parlant les uns aux autres, disent : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez pas dansé ; nous nous avons chanté des complaintes et vous n’avez pas pleuré. Car Jean-Baptiste est venu, ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et vous dîtes : Il a un démon. Le Fils de l’Homme est venu, mangeant et buvant, et vous dîtes : C’est un mangeur et un buveur, un ami des publicains et des gens de mauvaise vie. Mais la sagesse a été justifié par tous ses enfants ». (Luc, 7, 31-35).
«  Mais à qui comparerai-je cette génération ? Elle ressemble aux petits enfants assis dans les places publiques, et qui crient à leur compagnons, et disent : Nous vous avons joué de la flûte, et vous n’avez point dansé ; nous avons chanté des plaintes devant vous, et vous n’avez point pleuré. Car Jean est venu ne mangeant ni ne buvant, et ils disent : Il a un démon. Le Fils de l’Homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voilà un mangeur et un buveur, un ami des contrôleurs et des pécheurs. Mais la sagesse a été justifiée par ses enfants ». (Matthieu, 11, 16-19).
Les enfants ont un rapport à la vie fait de simplicité. Ils peuvent nous surprendre par les comportements qu’ils adoptent face aux situations de la vie. L’enfant sait se réjouir. Il sait aussi pleurer. Sa joie vient saluer avec force le retour du parent aimé. Sa compassion sait étreindre l’adulte qui retient ses larmes. L’enfant ne rationalise pas. Il est dans la vie. Pour lui chaque événement est une richesse à accueillir, une occasion de se réjouir, un chemin à parcourir. Contre l’esprit de sérieux qui souvent tient l’adulte dans des rôles prédéfinis, l’enfant nous invite à vivre la vie comme elle se présente : en accueillant joies et tristesses sans jamais s’arrêter de jouer. Dominique Savio à qui l’on demandait : « Que ferais-tu si, tandis que tu es en train de jouer, on venait t’annoncer que la fin du monde arrive ? » fit cette réponse pleine de sagesse : « Je continuerai de jouer »…L’observation du jeu de cache-cache qui semble comme appartenir à la nature des enfants est symptomatique de la recherche d’une présence qui se montre et se dérobe en permanence. De lui-même le petit enfant cache son visage devant l’autre pour vivre la joie ensuite du face à face. Un peu plus grand, il se cache en indiquant le lieu de sa cachette…Ce jeu « anthropologique » manifeste cette tension entre désir et rencontre. L’enfant s’éloigne pour qu’on le retrouve. Il invite l’autre à se cacher pour renouveler la rencontre. Sans cet espoir de la rencontre, le jeu devient souffrance…C’est parce que l’enfant sait qu’il sera retrouvé ou qu’il retrouvera que ce jeu est source d’une inlassable joie. Le Dieu caché (Deus absconditus) de la Bible semble nous donner quelques indications pour le retrouver : « Si vous ne devenez pas comme des petits enfants… ».

6ème message : « Naître de nouveau »
« Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu » (Jean, 3, 3).
« Jésus répondit : En vérité, en vérité je te dis, que si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’esprit est esprit. Ne t’étonne point de ce que je t’ai dit. Il faut que vous naissiez de nouveau » (Jean, 3, 5-7).
Jésus précise ici les choses. La ressemblance avec l’enfant qui réalise le Royaume de Dieu en nous passe par une nouvelle naissance. Comme toujours, la réalité concrète à laquelle renvoie Jésus dans son enseignement est un point de contact avec le message spirituel qu’il transmet. Les recherches récentes sur la naissance physiologique peuvent donc aussi nous éclairer sur les conditions de la nouvelle naissance spirituelle. La naissance physiologique, à l’image de la crèche de Bethléem, requiert du silence, de l’intimité, une faible lumière et de la confiance. Il s’agit de s’abandonner en lâchant prise. S’ouvrir à la vie exige de renoncer à vouloir tout contrôler. C’est là l’enseignement majeur de la naissance physiologique. Et c’est certainement là une piste pour s’ouvrir aux richesses du Royaume et naître à l’homme nouveau.

7ème message : « une louange parfaite »
« Mais les princes des prêtes et les scribes, voyant les merveilles qu’Il avait faites, et les enfants qui criaient dans le temple et qui disaient : Hosanna Fils de David ! s’indignèrent et ils Lui dirent : Entendez-vous ce qu’ils disent ? Jésus leur dit : Oui. N’avez-vous jamais lui cette parole : De la bouche des enfants, et de ceux qui sont à la mamelle, vous avez tiré une louange parfaite » (Matthieu, 21, 15-16).
La parole de Jésus est forte. Elle concerne la louange parfaite. Elle est prononcée dans le plus haut lieu de prière qui soit : le Temple de Jérusalem. Elle est adressée aux prêtres et aux scribes. Les « spécialistes » de la Liturgie et de l’Ecriture sont invités à entendre la louange des plus petits. Leur intuition spirituelle est plus juste que les raisonnements sophistiqués. Leur prière est « instinctivement » louange et action de grâce. Elle nous invite à redécouvrir la portée eucharistique de la grande prière du Christ. Leur « Théologie » non-conceptuelle est celle de la gratitude.  En cela, ils nous enseignent la « louange parfaite ».
 
8ème message : « la Révélation »
« En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : Je te loue Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que les as révélés aux petits enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi » (Matthieu 11, 25-26).
« En ce moment même, Jésus tressaillit de joie par le Saint-Esprit et il dit : Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi » (Luc, 10, 21).
A nouveau dans ce passage, Jésus prend à rebours la sagesse des «intelligents » et rend grâce de ce que les plus petits bénéficient d’une révélation toute particulière. Les enfants semblent profiter d’une connaissance spirituelle supérieure à l’érudition spirituelle des spécialistes. Ils ont certainement un rapport plus simple au mystère de leur origine dont ils rendent grâce spontanément sans se perdre dans des dédales argumentaires.

Cette petite traversée évangélique nous permet de prendre conscience du regard que porte Jésus sur les enfants et de leur rôle dans l’avènement du Royaume. Les enfants, de part leur intuition spirituelle, sont porteurs d’un message anthropologique. Nos paramétrages adultes peuvent cependant nous empêcher d’en prendre conscience alors même que ce message est fondamental pour toute croissance spirituelle.

L’ensemble des textes étudiés ainsi que l’observation des enfants peuvent nous ouvrir quelques  pistes de réflexion. Tout d’abord l’enfant nous indique clairement que la religion est affaire de rencontre joyeuse et non de système de pensée. Bien entendu la réflexion théologique peut nourrir la prière. Mais sans cette disposition propre à l’enfance où se mêlent intuition profonde et désir de la rencontre, la pensée adulte coure le risque de tourner sur elle-même. Ensuite, l’observateur ne peut que constater que l’absence de pensée conceptuelle n’est pas une limite à la vie spirituelle. Bien au contraire, l’enfant en nous montrant une vitalité affective et spirituelle intense nous rappelle que le lâcher prise par rapport à l’usage de la raison est nécessaire au développement d’une vie de prière. Enfin, la joie de l’enfant est « eucharistique ». La « louange parfaite » dont parle Jésus est à rapprocher de sa prière eucharistique par laquelle toute l'histoire de la Création est assumée dans un acte d'Amour total.        

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